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Judith vit Frau Westphal partir, sans une larme, les lèvres serrées, avec la certitude d’être
flouée, trahie, laissée sur le bord. Elle en conçut une effrayante amertume qui se replia en elle comme les pattes rigides d’un crabe endormi par l’éther. À présent, elle ne pouvait qu’accepter ce ridicule sourire de la paisible femme la laissant aux soins de Mme Artzinger. Elle ne s’écroula pas en larmes quand Frau Westphal la serra contre elle. Elle laissa faire, désormais indifférente.
Judith était intelligente, elle essaya de toutes ses forces de trouver un moyen de s’adapter, de contenir sa haine, sa fureur âcre, sa solitude mordante. Elle eut la volonté tenace de conquérir Cedefeld, d’aller plus loin dans la rigueur que ce qui lui était demandé, d’abonder dans le sens de Kinderland, d’être digne de la Grande Maison qui surplombait la vallée. Elle avait sept ans et deux mois et cela lui suffisait.
Il y eut les premières camarades. Elle ne leur tendit pas la main. Elle avait besoin de toute son énergie pour elle-même.Elle ne voulait pas jouer avec les autres ; elle l’acceptait seulement lorsque cela était inévitable. Au ballon, elle lançait la balle avec violence et la balle giflait les visages, tordait les doigts, claquait sur les membres nus des enfants du Kinderland. C’est cela qui la fit respecter. Elle fut punie mais accomplit sa punition de façon exemplaire.
Vera Marx essaya de lui parler, d’établir avec elle des relations de confiance. Rien n’y fit. Judith était partie pour une longue épreuve qui la conduirait hors de Cederfeld.
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